jeudi 21 avril 2016

11.22.63. : du livre à la série.



Comme tout le monde, je suis souvent déçu de découvrir une adaptation ciné ou télé d’un livre que j’ai lu ; et encore plus lorsque ce dernier m’a plu. Ça ne m’a pourtant pas empêché de me lancer dans l’adaptation de 11.22.63, le roman de Stephen King édité en 2013 en France et décliné en mini-série de huit épisodes par J.J. Abrams pour le site de VoD Hulu en ce début d’année. Malheureusement, la règle s’est une fois de plus vérifiée : la série n’est pas à la hauteur du roman de King. Dommage, c’était plutôt prometteur sur le papier.


11.22.63 raconte l’histoire d’un prof d’anglais, Jake Epping, qui découvre un portail temporel le permettant de voyager jusqu’en 1960 (1958 dans le livre) et de revenir quand bon lui semble en 2016 (2011 dans le livre). Particularité supplémentaire : quel que soit le temps que Jake passe dans les années 1960, il ne sera écoulé que 2 minutes en 2011 lorsqu’il y reviendra. A la demande de Al, un ami mourant qui lui a révélé l’existence du portail, Jake se met en tête d’empêcher l’assassinat de JFK, le 22 novembre 1963 (d’où le titre, hein) et ce malgré les obstacles que le passé mettra sur son chemin - oui, dans le livre et dans la série, le passé est une force qui n’aime pas être modifiée et qui lutte plus ou moins fortement selon l’importance de l’évènement que Jake cherche à modifier (vous suivez ?).



A parti de ce postulat de base, commun aux deux versions, trois changements majeurs ont été apportés à la structure dramatique de la série télévisée. Trois modifications qui, à mon sens, appauvrissent la narration globale.

Tout d’abord, toute une première partie du livre a été amputée ou en tout cas réduite à sa plus simple expression. En effet, initialement, lorsque Jake découvrait cette faille temporelle, il commençait par l’apprivoiser en faisant plusieurs allers-retours, en restant de plus en plus longtemps dans le passé et en modifiant de plus en plus de choses. Il tentait, il expérimentait, il revenait dans le présent pour voir dans quelle mesure ses actes avaient eu des conséquences. Et surtout à chaque fois qu’il repartait dans le passé, il annulait tout ce qu’il avait pu faire lors de ses précédents voyages puisqu’il arrivait toujours exactement à la même date. Il avait donc la possibilité de rebooter le passé dès qu’il manquait un de ses objectifs mais il devait aussi refaire ce qu’il avait réussi à accomplir lors des voyages précédents (vous suivez toujours ?). Cette première phase du bouquin le voyait tenter à plusieurs reprises de sauver deux personnes (avant JFK), étape qui permettait au héros et aux lecteurs de bien maitriser les règles de ces voyages dans le temps.
Dans la série, Jake ne fait pas d’allers-retours. Il ne part qu’une seule fois dans le passé et ne sauve qu’une seule personne, du premier coup. C’est peut-être anodin mais ça rend le début de la série facile, rapide et presque superficiel. J’ai eu du mal à rentrer dans le récit parce que tout allait trop vite, tout était trop facile, trop évident pour Jake. Je n’ai pas eu le temps de m’attacher au personnage joué par James Franco car tout semblait lui couler dessus comme l’eau sur le dos d’un canard (à moins que ça ne vienne du jeu de Franco…) : le Jake de la série parait parfaitement maitriser la situation là où celui du livre galérait pour comprendre ce qui lui arrivait. Conséquence de cela : les premiers épisodes manquent cruellement d’enjeu, de tensions narratives. Dommage, il y avait de la matière dans le livre.

L’autre changement gênant vient de la date à laquelle Jake arrive dans le passé : dans la série, il débarque toujours en 1960. Dans le livre, c’était en 1958. Ça a l’air de rien comme ça, mais ces deux années supplémentaires demandaient un plus grand sacrifice au héros : il devait être capable de passer 5 ans dans les années 1960 avant de pouvoir accéder à son but ultime. Chaque reboot l’obligeait à repartir de beaucoup plus loin. Ca le contraignait également à être patient, mais surtout à trouver un moyen de vivre une vie normale dans le passé sans attirer l’attention tout en continuant de mettre un plan d’action sur pied pour éviter l’assassinat de Kennedy. Cette vie que Jake se construit dans le passé était captivante dans le livre. Certes, on oubliait quelques fois l’objectif initial du héros mais les relations créées avec son entourage étaient vraiment passionnantes car de plus en plus intimes, de plus en plus profondes.
Dans la série, tout cela parait là aussi un peu facile. Par manque de temps, les scénaristes sont malheureusement obligés d’aller à l’essentiel. Tout un pan du livre dans lequel Jake s’invente une identité en Floride, s’y fait faire de faux papiers et amasse de l’argent, passe à la trappe dans la série. Son installation à Jodie, près de Dallas, est rapidement esquissée, sa position de prof dans un lycée est à peine abordée (alors qu’elle occupe une vraie grande place dans le livre) et son histoire d’amour avec Sadie arrive trop vite. Même ses démêlés avec l’ex-mari de Sadie sont expédiés beaucoup trop rapidement. Du côté de sa mission kennedienne, là aussi, tout est trop simple. Le livre rendait compte d’un labeur épuisant, de longue haleine et ponctuée d’obstacles toujours plus infranchissables. La série montre cela comme une simple enquête de routine. Observer et espionner les faits et gestes de Lee Harvey Oswald devient un jeu d’enfant.
Je réalise évidemment qu’il était indispensable de faire des coupes majeures dans un livre qui compte pas loin de 1 000 pages. C’est inévitable et c’est bien normal. Mais j’y ai perdu tout ce qui y faisait pour moi tout le sel de l’histoire.

La dernière modification est la plus étonnante pour moi. Et la plus grande. Les scénaristes ont créé de toute pièce un nouveau personnage, Bill, qui apprend très vite le secret de Jake et qui l’aide dans la mission qu’il s’est fixée. Passée ma surprise, je me suis dit pourquoi pas. Après tout, avoir un allié pouvait rendre la série plus captivante et pouvait surtout permettre aux spectateurs d’avoir accès aux pensées de Jake sans utiliser la voix-off : au lieu d’un héros solitaire, on a maintenant un duo de comploteurs. Autre conséquence aussi chouette qu’inattendue : Bill interagit énormément avec la famille Oswald, ce qui parait de dresser un portrait tout à fait intéressant du meurtrier (portrait dix fois plus développés dans le livre, mais pas mal rendu ici).
Mais malheureusement, cette jolie idée a aussi deux conséquences dommageables (attention SPOILER ALERT dans le paragraphe qui suit) : tout d’abord, lorsque Jake finit par révéler son secret à Sadie, on perd tout l’impact que cet énorme aveu est supposé avoir. Il l’a déjà fait auparavant ; le voir le refaire n’a rien de très marquant. Du coup, l’importance de Sadie en prend un coup. Deuxièmement, et c’est là qu’est le vrai problème, la fin de la trajectoire du personnage de Bill est bâclée. Plein de choses à son sujet ne sont pas abouties (alors qu’il y avait de quoi faire) et au final, on a un peu le sentiment qu’il n’aura servi à rien… Très dommage parce que le comédien Georges MacKay est plutôt bon.


Malgré tout ce que je viens de dire, je suis tout de même allé jusqu’au bout des huit épisodes et ce, sans me forcer. Les décors, les costumes et l’ambiance des 1960 apportent un vrai cachet à l’ensemble. Les derniers épisodes qui se déroulent le 22 novembre 1963 sont très réussis. Et la toute fin de la saison est très émouvante (à ma grande surprise, la dernière scène, pourtant présente dans le livre, ne m’avait pas du tout autant marqué à la lecture). 11.22.63 n’est pas une mauvaise série en soi. Elle a juste le malheur d’être l’adaptation d’un livre long, complexe, intelligent. Un livre qui, malgré son style assez limité (c’est King, quand même…) m’avait vraiment plu. A côté, malgré tous les efforts de réalisation et de simplification de la trame, la série parait un peu légère. Voire même un peu fade. Je serais très intrigué de connaitre l’avis de personnes qui l’auraient vue sans avoir lu le livre. Et notamment l’avis des petits chanceux qui ont leur place pour le festival Séries Mania : la série y sera projetée lors de la soirée de clôture dimanche soir prochain, auforum des Images.

Allez, pour finir sur une note positive, je vous mets une vidéo du générique, très réussi :